Cinéma et idéologie: l'effet 11 septembre

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Johann
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Cinéma et idéologie: l'effet 11 septembre

Message par Johann »

Voici un article traitant du sujet...
(C'est un peu long mais intéressant !)


Cinéma et idéologie

L’effet 11 septembre


On pouvait craindre que le 11 septembre ne provoque l'émergence d'un cinéma de propagande ; il n'en est rien. En prenant en compte la guerre de Bush contre le terrorisme, Hollywood accouche de films doubles reflétant une véritable prise de conscience de l'Amérique.


L'usine à rêves s'est-elle transformée en usine à cauchemars En 1984, Steven Spielberg inventait un extraterrestre rigolo qui s'appelait E. T. et ne voulait qu'une seule chose : « téléphone-maison » ; dans « la Guerre des mondes », le même Spielberg dépêche sur Terre des nazis intergalactiques déterminés à réduire l'humanité en cendres. Entre-temps, il y a eu le 11 septembre. « Pour l’Amérique, le 11 septembre 2001 fut le jour où le pays perdit définitivement son innocence, explique le journaliste et animateur de radio américain indépendant Pab Sungenis. Notre nation n'avait été attaquée qu'une seule fois, lors de l'offensive japonaise sur Pearl Harbor: Nous nous pensions protégés par notre situation insulaire, entre deux océans. Nous n'avions jamais vu nos villes en flammes. Nous étions devenus arrogants. La destruction des tours jumelles nous a frappés de plein fouet, et forcés à réévaluer notre place dans le monde, » Sorti en mai 2002, soit moins de huit mois après les attentats du World Trade Center, « Spider-Man » s'est rapidement imposé comme l'un des plus gros succès de toute l'histoire du cinéma, engrangeant plus de 400 millions de dollars rien qu'aux Etats-Unis. Depuis, les superhéros squattent les écrans, et, comme le note le scénariste
de comic-books Mark Millar, « ce n'est pas un hasard si la résurgence du film de superhéros coïncide avec le plus grand acte de terrorisme que l’Amérique ait jamais connu » : le public a besoin de se rassurer.

Sauf que les surhommes ont perdu de leur superbe. Dans « les Indestructibles », le dernier film d'animation Pixar/Disney, ils sont carrément pitoyables : absorbé dans la nostalgie de sa gloire évanouie, M. Indestructible est devenu un gros lard qui ne rentre même plus dans son costume de superhéros. Le « Superman » sur lequel planche actuellement Bryan Singer n'aura pas plus fière allure : la lecture du synopsis nous apprend qu'il revient sur Terre après un exil de plusieurs années et qu'il lui faut maintenant retrouver sa place dans un monde qui semble ne plus avoir besoin de lui. « Les X-Men, Hulk, Spider-Man et Batman, dans sa dernière incarnation, ne sont pas toujours reconnus comme des héros, note Pab Sungenis. Ils sont parfois sous-estimés, diffamés, toujours incompris dans une certaine mesure. » C'est la dernière invention de Hollywood : le « film de superhéros réaliste » (et tant pis pour le paradoxe). Et à part ça ? Jusqu'où le 11 septembre a-t-il affecté la production cinématographique américaine ? Au fond, « les Indestructibles », après avoir accusé le coup, finissent par se ressaisir et empêcher le bien nommé Bomb Voyage de détruire la ville. Une victoire claire du bien sur le mal, qui passe par le retour aux valeurs fondatrices de la société américaine au premier rang desquelles la famille. On s'était cru chez Bergman ; on est bien chez Disney. Le message est clair : l’Amérique est indestructible. Mais de tous les films post-11 septembre, « les Indestructibles » est bien le seul à mettre un peu de couleur dans le tableau.

Ainsi le « Batman Begins », de l'Anglais Christopher Nolan, est-il carrément glauque. A tel point que lorsque le site web IGN-FilmForce l'interrogeait sur l'évolution du personnage qu'il avait mis en scène à la fin des années 1980, Tim Burton lâchait : « Je suis bien content d'avoir travaillé sur Batman à l'époque, quand les films de superhéros ne se devaient pas d'être réalistes. Ces films sont devenus tellement sombres que j'en viens à espérer le retour de superhéros en collants roses et en cape jaune ! »

A priori, Tim Burton devra prendre son mal en patience. « La peur est une émotion beaucoup plus présente que par le passé, et cela imprègne les films, explique Christopher Nolan. Depuis le 11 septembre, il est impossible de croire aux héros d'action qu'interprétaient Bruce Willis ou Arnold Schwarzenegger dans les années 1980-90, ces types capables de sortir une blague entre deux explosions ; aujourd'hui, les héros sont vulnérables. » Mais pas seulement : si le Batman de Nolan est traumatisé par la mort de ses parents, assassinés sous ses yeux alors qu'il était gosse, il est aussi aveuglé par le désir de vengeance. Toute ressemblance avec l'Amérique de Bush, orpheline de ses deux tours et engluée dans sa vengeance irakienne, ne doit évidemment rien au hasard. Batman est un héros maudit rattrapé par sa part d'ombre. Il ressemble au méchant qu'il combat, l'Epouvantail : au moyen d'une toxine libérant les terreurs les plus enfouies, ce dernier manipule les peurs d'autrui pour des questions de pouvoir. En se baladant la nuit déguisé en chauve-souris, Batman ne fait pas autre chose.

Sydney Pollack, dans « l'Interprète », raconte la même histoire, mais à travers un thriller politique dont la véritable héroïne n'est pas Nicole Kidman majs l'ONU. Une façon de réaffirmer le pouvoir des mots et de condamner la vengeance, « forme paresseuse de deuil ».

Impossible d'évoquer les attentats du World Trade Center, donc, sans mentionner leur corollaire : l'invasion de l'Irak. On a beaucoup reproché à Spielberg le happy-end de « la Guerre des mondes » : « héros » passif plus préoccupé de sauver sa peau et celle de ses enfants que de trouver un moyen de vaincre les martiens, Cruise finit par se ressaisir et, mû par son instinct paternel, se laisse capturer par le tripode dans lequel se trouve déjà sa fille, non sans s'être bardé d'explosifs. Une fois dans le ventre du monstre de métal, il fait tout sauter. Miraculeusement, sa fille et lui en sortiront indemnes. Mieux, ils retrouveront le fils parti à la guerre un peu plus tôt contre l'avis de son père. Triomphe de la famille, triomphe de l' Amérique.

Sauf qu'on n'est peut-être pas en Amérique mais en ...Irak. C'est la thèse de Bill Krohn, le correspondant américain des « Cahiers du Cinéma », pour qui « les martiens, dans "la Guerre des mondes", ne représentent pas les terroristes attaquant les Américains, mais les Américains envahissant l'Irak, ce qu'accrédite l'évidente supériorité technologique des martiens sur les terriens ».

Dans ces conditions, lorsque le public américain, qui s'est naturellement identifié à Tom Cruise, applaudit à la scène finale où l'acteur se fait sauter dans le tripode martien, il applaudit un kamikaze irakien résistant à l'envahisseur US.

On voit que le happy-end, dans un univers où il est devenu difficile de distinguer les bons des méchants, acquiert une valeur toute relative. Pour le philosophe slovène Slavoj Zizek, « c'est ainsi que l'idéologie fonctionne dans les films : elle vous offre simultanément une lecture "offi- cielle" (les martiens sont les terroristes) et une lecture "subversive" (Cruise est le terroriste) ». Après tout, Spielberg avait déjà fait jouer à Tom Cruise le rôle de l'Irak dans « Minority Report », où ce dernier, accusé d'être potentiellement dangereux, devenait la cible d'une attaque préventive et finissait par mettre au jour le terrible complot dont il était la victime.

On retrouve la même violence politique dans « Land of The Dead », où George A. Ramero lâche ses zombies sur l'Amérique de Bush. Là encore, on s'identifie par réflexe aux vivants pour réaliser graduellement que les zombies sont aussi des victimes. « Aussi surprenant que cela puisse paraître, je n'ai eu aucun mal à faire le film que je voulais, confie Romero. Vous savez, les patrons de studio ne font pas de politique : ce qui leur importait, c'était que je livre un film spectaculaire, effrayant. Et puis j'avais un allié : mon producteur Mark Canton, qui a participé activement à la campagne de Kerry. »

Mais pour Bill Krohn, des « Cahiers du Cinéma », « de tous les films post-11 septembre, “Star Wars 3 : la Revanche des Sith" est le plus ouvertement anti- Bush. Un svndage réalisé par AOL dans la foulée de la sortie du film a d'ailleurs montré qu'une majorité des spectateurs avaient capté le message, et assimilé Dick Cheney à l'affreux J. Palpatine et non au sage yoda, et George W. Bush à Dark Vador et non à Luke Skywalker ». Le film, qui décrit la transformation du gentil Anakin Skywalker en méchant Dark Vador, soit le passage de l'Amérique du côté obscur de la Force, s'achève, de fait, sur la victoire du Mal. Pour le philosophe Slavoj Zizek, « ces films nous disent que “l’Empire du mal" n'est pas ailleurs ; son apparition dépend de la façon dont nous, les "bons", nous le renverserons. Et cette question concerne l'actuelle "guerre contre le terrorisme" : comment celle-ci va-t-elle nous transformer ? »

On se souvient que, dans la foulée des attentats, Hollywood avait laissé de côté ses opinions majoritairement démocrates pour réfléchir, avec la Maison-Blanche, aux moyens de promouvoir l'image des Etats-Unis à travers le monde. On avait alors craint l'émergence d'un cinéma de propagande, comme dans les années 1940, destiné à soutenir l'effort de guerre du gouvernement Bush. On le voit aujourd'hui, on en est loin : la réponse des Etats-Unis au 11 septembre (la « guerre contre la terreur », à l'extérieur en Irak, mais aussi à l'intérieur avec l'adoption du Patriot Act) semble inspirer aux cinéastes plus d'épouvante que le 11 septembre lui-même !

Dès l'année dernière, M. Night Shyamalan mettait en garde contre la séduction trompeuse du repli sur soi, l'instrumentalisation de la peur à des fins politiques, l'obscurantisme : ce village modèle, Truman Show rural orchestré par un illuminé brandissant la menace de « monstres de la forêt » pour mieux contrôler ses ouailles, c'était évidemment l'Amérique de Bush. Aujourd'hui,
James McTeigue met la dernière main à « V for Vendetta » : situé dans l'Angleterre totalitaire du futur, le film raconte les aventures d'un combattant révolutionnaire prêt à tout pour renverser le gouvernement en place ...y compris à user de méthodes terroristes. Les récents attentats du métro à Londres ont contraint la Warner, semble-t-il, à supprimer certaines scènes. Le slogan, lui, est resté : « Ce ne sont pas les peuples qui devraient avoir peur de leurs gouvernements, mais les gouvernements qui devraient craindre les peuples. »
Olivier Bonnard
Le Nouvel Observateur

11 septembre, les films

Ce n'était qu'une question de temps. Moins de quatre ans après les attentats du World Trade Center, Hollywood prépare le premier film de fiction consacré à la tragédie. C'est la Paramount qui, sous l'impulsion de son nouveau président, Brad Grey, est la première à se lancer. Comme si le sujet n'était pas suffisamment sensible, le studio a confié les rênes du projet à Oliver Stone, dont les films sur JFK et Nixon avaient suscité la controverse. Dans le « Los Angeles Times » du 17 juillet, le cinéaste semblait soucieux de calmer les esprits : « Il ne s'agira pas d'analyser les motivations des terroristes, ou bien ln, politique post-11 septembre. Ce sera un film sur des gens qui joignent leurs forces pour surmonter un problème. Du cinéma-vérité, sans chichis, sur ce qui s'est passé pendant ces vingt-quatre heures… »
De fait, le film racontera l'histoire vraie des deux dernières personnes à être sorties vivantes des décombres des tours jumelles, les policiers Jolm McLoughlin et William Jimeno. D'autres films sur le 11 septembre devraient suivre, apprenait-on dans « Variety » du 25-31 juillet, notamment « 102 Minutes », chez Columbia, qui se concentrera sur une poignée de survivants ayant réussi à s'échapper de la première tour avant qu'elle ne s'écroule.
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Didier
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Message par Didier »

Lorsque vous citez un article, pensez à donner le lien vers l'article sur le site web du journal.

Les articles de journaux sont soumis à des copyrights et toute reproduction est interdite. Ceci dit, en indiquant correctement le nom de l'auteur, le journal + l'adresse du site, cela peut permettre de faire un peu de publicité à l'article.

Mais un journal est parfaitement en droit de demander le retrait d'un article ainsi copié, même avec les mentions...

Donc si je disparais la semaine prochaine, écrivez moi à la prison de la Santé...
Antho
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Message par Antho »

tu as entièrement raison, il faut au moins citer la source... :wink:
Johann
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Message par Johann »

Cet article vient d'un document que m'avait envoyé mon prof de DLA l'an dernier.
Le nom de l'auteur et le journal est noté, mais si il faut retirer l'article tant pis ! :wink:
guy66
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Message par guy66 »

Didier, en dehors de l'aspect légal, je trouve indispensable pour un article délivrant de l'information de citer ses sources (on peut trouver tout et n'importe quoi sur le net), et très intéressant de connaître l'origine des analyses reprises afin de pouvoir situer l'auteur.

Ceci dit, merci Johann, la lecture de cet article m'a remémoré le film très fort de Michael Haneke, Caché: la menace (réelle ou fictive?), la peur de perdre une position dominante, la culpabilité, la manipulation-dissimulation, la peur de l'autre, la violence... Ce n'est pas un film américain, il ne traite pas du 11 septembre, mais les ressorts qu'il met à jour...
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